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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/125

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

de pitié, comme les nôtres. Au bateau qui doit les emporter ils arrivent dans des voitures spacieuses, silencieuses où, tout de suite, ils s’endorment pour oublier la guerre ; puis, on les descend ; ils ne geignent pas ; et ils ne s’occupent jamais de savoir si on les regarde.

Barbet en eut quelque stupeur. Il en fut de même lorsque, entrant dans le buffet, il vit le pasteur attaché au navire-hôpital, qui se restaurait bien, avant de s’embarquer. Il était en kaki, élégant comme un jeune officier, et il avait devant lui une tasse pleine d’un café au lait dont l’odeur seule était une joie. Pour l’accompagner dignement, il étalait avec tendresse du beurre sur du pain grillé, des confitures sur son beurre et du miel sur ses confitures. Longuement, dans des assiettes diverses, il se préparait ainsi tout ce qu’il faut pour un homme qui veut être fort, et que le pire cataclysme ne trouble guère, parce qu’il croit en Dieu et en lui-même. Il pensait : « S’il faut mourir demain, on mourra ; mais puisqu’il faut vivre aujourd’hui, vivons bien. » Et il souriait. Puis, lorsqu’il eut fini de sourire et de manger, il se leva ; il sortit de son pas régulier ; il s’en alla jusqu’aux voitures, et se penchant dans la première, comme s’il disait : « Quels sont