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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

— C’est tout de même chic, les côtes !

Le permissionnaire sourit. Barbet eut peur d’avoir été trop instinctif. Il reprit :

— Comme ça… de loin… c’est… joli…

Et il termina sur une phrase élégante :

— Ça s’harmonise avec les tons de la mer.

Puis il le quitta une fois de plus, et descendit dans l’entrepont.

Il ne tenait plus en place. Il parlait maintenant à tous les gens qui ne savaient pas sa langue. Et après n’avoir couru aucun danger, il jouissait de l’immense bonheur d’être sauvé. En somme, il était à cette minute un échantillon parfait de ce peuple français, vibrant et charmant, qui sent les douleurs et les joies avant qu’elles soient venues, et qui est nerveux comme les ciels de printemps dont les nuages s’effilochent, s’assombrissent, brillent et crèvent.

Le bateau entrait dans le port de Folkestone. Les Anglais avaient jeté leurs ceintures, et repris leurs ballots ; en ordre, ils se massaient vers l’endroit où l’on devait mettre la passerelle. Ils fumaient toujours des pipes ; quelques-uns lisaient encore debout leurs magazines, et presque tous, ils étaient toujours silencieux, tandis que Barbet, au bout du bateau, exultait, s’agitait, jacassait.