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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/174

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

se demanda en frissonnant si cet énorme quartier de viande dont ils mangeaient, n’était pas tout simplement de l’ouvrier rôti. Et c’est pour détourner cette affreuse pensée qu’il dit à Barbet :

— Venant de Folkestone à Londres, mongsieur Bâbette, avez-vous pas remarqué dedans les vertes prairies beaucoup de brebis avec leurs petits que vous appelez des agneaux, je crois ?… Et nous mangeons un agneau. Ainsi… il sautelait hier, et le voici dans sauce aujourd’hui…. et il est bon, bien cuit et parfumé, mais… c’est malheureux tout de même.

À la vérité, M. John Pipe n’était guère affligé : il souriait. Mais Barbet pesta que ce satané bonhomme fût incapable de s’intéresser à autre chose qu’à ce qui… n’était pas intéressant. — Il parlait des agneaux et de leurs mères à Sheffield ! Barbet, lui, se sentait fort au milieu de ces industries redoutables et de ces industriels énigmatiques. Il se disait : « Voilà notre siècle, bravo ! Voilà des gens qui l’ont compris, bravo ! Vive l’Angleterre ! Bravo ! » Et quand le serveur lui offrit du whisky, il tendit son verre gaillardement.

Les industriels ne furent pas chiches, après le