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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/185

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

sordre, grouillement de choses et de gens, et, par-dessus tout, la force tranquille de ces grues qui prennent, qui soulèvent, qui déposent, et qui sont à la fois des esclaves et des puissances.

Mais plus haut encore il y avait le ciel, dont les nuages ont l’air nés de la fièvre de cet enfantement. Ciel de travail, pesant et tourmenté qui n’a pas, lui-même, la sérénité des grandes choses accomplies. Tout y glisse et s’y mêle, projetant des ombres fuyantes sur cette terre qui fourmille, tremble et fume, parce qu’il y a là de la vie qui se crée.

Quoi de plus vivant qu’un bateau ? Il se confie à la mer et il fait partie d’elle. Il a un nom, une histoire, des dangers à courir, un honneur à défendre. Il connaît de rudes jours, et s’il meurt à la peine, le pays se souvient et salue sa mémoire. Gloire aux bateaux dès qu’on les fait, car ils exigeront des marins courageux. Ils appellent la valeur et la hardiesse. Leur vie est vaillante, leur mort héroïque. Parmi les créations du génie, de l’homme, ils sont la plus noble et la plus passionnante. C’est M. John Pipe qui avait raison.

Et, descendant d’un pied malhabile les deux cents marches étroites de la grue, M. John Pipe songeait, en voyant ces chantiers entre ses