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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/219

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

feuilles, M. John Pipe fit arrêter, descendit, et devint élégiaque.

Son imagination, en ces premiers jours de mai, lui faisait voir les rives de la Tamise telles qu’elles seraient aux derniers jours de juin. Il évoquait la fraîcheur de l’air, la douceur de l’eau, l’intimité de ces lieux où, par un chaud après-midi, on entend des bruits charmants et familiers : chant d’un oiseau qui aime, le vent dans les roseaux, une rame qui s’égoutte. Et il dit à Barbet :

— N’est-ce pas, c’est beau ?

Malheureusement, une jeune bonne blonde, avec des joues enluminées, accorte en son tablier à volants, apporta dans une corbeille deux petits carrés de mie chichement mesurés, et il est vrai qu’elle fit un sourire, mais tout de suite elle dit :

— Un, messieurs !

Un seul ? Alors, ensemble, avec une précipitation bien humaine, M. John Pipe et Barbet tendirent la main, pensant chacun prendre le plus gros ; mais la bonne prit un air penché pour dire :

— Ils sont pesés…

Ils digérèrent sans peine ce goûter frugal. La soirée était fine et transparente ; ils se sentaient