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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/23

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

de sa taille cambrée, de sa fierté naturelle et de l’ardeur de ses cheveux. Dans sa première jeunesse, elle avait cru au génie de Barbet. Elle l’avait épousé, se disant : « Je le pousserai ; il percera ! » Et elle avait vu percer… les autres, d’abord avec une rancœur qui redonna de l’énergie à son amour. Elle les méprisait, ces chanceux, continuant d’avoir foi en son mari, qui était habile à la parole, prompt à écrire, dont la personne enfin était agréable, puisque c’était un blond appétissant, au visage clair, un peu gras, de peau tendre, avec des yeux francs et une barbiche Louis XIII qu’il avait voulu raser vingt fois, mais que sa femme défendait de toute son énergie, répétant : « Ça te fait une tête ! Il te faut une tête ! » Puis, elle s’était lassée, même de cette tête, et il ne lui restait plus qu’une très vague confiance dans les moyens de cet homme, à qui elle répétait un jour sur deux, en haussant les épaules :

— Tu te laisses marcher sur le ventre ! Ta carrière, c’est de faire celle des autres !

Alors, il jouait au philosophe :

— Ma pauvre amie, gloire de Paris, réputations mondaines, bruit que font les perruches autour de votre nom, tout ça c’est moins que rien !