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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/78

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

la science et la chimie, la terre qui n’a plus sa couleur ni son grain, — éventrée, verdâtre, avec des pierres vomies, la terre recouvre tout ce qu’elle portait : les arbres, les villages et les soldats.

Ces derniers sont tombés si nombreux qu’on n’a pu marquer, même d’un bout de bois, le sacrifice de chacun ; ils dorment sous terre, en masse, comme ils ont combattu. Il fallait être un régiment pour avoir la gloire d’un drapeau : morts, ils sont des centaines à ne posséder qu’une croix. Et maintes fois encore s’enfonce-t-elle dans l’eau d’un trou, entre deux bosses du sol explosé, en sorte qu’il n’y a que l’aspect horrible du terrain qui évoque l’énormité du drame.

Troué, boursouflé, partout équivoque, il est devenu cette chose inconnue de la nature : « de la terre morte ». Il a fallu l’homme, ses calculs et son travail, pour tuer ainsi un pays. Quelle nouveauté ! Pays méconnaissable, non parce qu’il est ruiné, rasé, tout nu, mais parce qu’on y marche sur une matière sans nom, désolée, massacrée, qui n’a plus de germes de vie.

Le plus stupéfiant, c’est le soleil qui éclaire, quelle qu’elle soit, l’œuvre de l’homme, avec sa