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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/83

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

à Barbet tout ce qu’il négligeait en jugeant trop vite, tout ce qu’il ne voyait pas en devinant trop gros, à savoir cet humour particulier qui est la coquetterie suprême de l’Anglais pour cacher son vrai courage et aussi tant de tenue, de gentillesse, tant de charme discret, que trop de Français appellent égoïsme ou insensibilité. Seulement, comme il était né d’un père malin et délicat, le major Pipe trouva quand même une façon de répondre et de s’expliquer.

Il ne fit pas de phrases, ainsi que Barbet aimait en faire et comme tout Français aime en entendre, mais, continuant son sandwich, appuyé négligemment à l’auto, au lieu de définir les Anglais, il se mit, lui, à conter des histoires sur eux, — quelques histoires simples qui ne seront pas consignées dans les grands récits de guerre, parce que les historiens aiment les raccourcis, les effets et les proclamations, mais qu’il est bon de se redire entre soi, entre amis, quand on est deux et qu’on peut parler bas. Rien n’y brille d’un éclat factice ; elles ne font pas image ; aucun mot de légende, aucun geste de victoire ; mais elles s’adressent à l’esprit, et elles sentent étrangement leur gentleman bien né.

— Ici, donc, commença James Pipe, dans l’en-