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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/90

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

qu’il devinait chaste, et aussi timide sur ce sujet de l’amour qu’il paraissait robuste et bien planté dans la vie militaire et civile.

Gêné lui-même, il regarda ses pieds, puis sa pensée fut reprise par le spectacle étrange et terrible de ces terres dévastées. — Sur la route rouge il passait des hommes d’armes, avec de grosses pièces et des charrois d’obus ; ils s’en allaient plus loin, sur des terrains d’où tout aussi devait disparaître. Guerre atroce, car le vainqueur ne conquiert que des spectres, et il n’a pour lui que ses souvenirs qui sont des revenants. Est-ce pour cela, se demandait Barbet, que, de tous les coins du monde, des soldats ayant fait leur bagage, viennent se battre et mourir sur la terre déchirée de la France ? Quelle étrange vision, par exemple, de voir tout à coup, sur cette route guerrière et mirifique, apparaître et défiler quelques milliers d’Indiens, sur leurs chevaux et sur leurs mules !

Au passage des premiers, Barbet croisa les bras, puis, les yeux vagues, il se mit à rêver.

— Curieuses gens !… Leur civilisation est-elle du raffinement, ou bien ne sont-ils encore que des sauvages ?

Certains avaient l’air pensif et religieux d’une