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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/93

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

une importance fantômatique, se détachant sur ce fond de « paysages », qu’il faut chercher dans le ciel lorsqu’ils ont disparu de la terre.

Soudain, dans la pénombre, il partit des éclairs : c’étaient de grosses pièces anglaises. La guerre animait cette ancienne campagne, transformée en camp. Les coups de canon se précipitaient, les uns avec un bruit sec d’amorce, d’autres roulant tel l’orage ; et sous la voûte des nuées qui semblaient prises dans la bataille, tout se répercutait en un écho si formidable, que cette lutte terrestre avait l’air d’un combat géant dans les cieux.

L’auto, soufflante, n’allait plus qu’à petits pas sur la route encombrée, où tout un régiment d’artillerie pataugeait, piétinait, poussait, tirait, dans l’odeur piquante des chevaux en sueur. Une compagnie d’hommes s’y mêla, porteurs de pelles et de pioches, et coiffés de casques verdegrisés, comme s’ils venaient, avec leurs outils, de les déterrer profondément. Et il passa encore des bataillons de mules chargées d’obus, installés soigneusement dans des étuis de paille, comme des bouteilles d’un vin précieux. Puis, il vint de gros camions ayant tous sur le flanc leur marque : chat, pingouin, fer à cheval, et des autos d’ambulance,