Page:Benjamin - Le Pacha, paru dans Les Annales politiques et littéraires, 3 et 10 août 1924.djvu/57

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(Silence.) Tu es entrée dans le mariage comme on entre dans un grand magasin en te disant : « On va bibeloter. » Tu n’as jamais songé que ça pourrait être sérieux, par moments.

Marinette. — C’est ton sermon qui est sérieux.

Pierre. — Fiancée, Marinette, il était permis d’avoir des théories folâtres sur l’inutilité de l’effort. Mais, mariée, rends-toi compte… que tu dois faire un peu comme moi !

Marinette. — Du droit administratif ?

Pierre. — Je travaille, moi ! Je m’embête, moi ! Je ne rigole pas toute la journée, moi ! Les femmes qui geignent sur les intérieurs ne voient pas ce que les hommes triment, s’usent, se minent !

Marinette. — Si ; ta mère vient de me seriner ça.

Pierre. — Seriner ? Pourquoi ce mot ?

Marinette. — Il n’est désavantageux que pour moi !

Pierre. — Quand je te dis que tu te moques de tout ! Quelle petite femme singulière ! (Il la prend par la taille.) On ne sent même pas si ton cœur bat. (Un temps.) Hein ? Qu’est-ce qu’il te conseille, ton cœur ?

Marinette. — Il saute quand je te vois !

Pierre. — Ah !

Marinette, riant. — Parce que tu m’amuses considérablement.

Pierre. — Tant que ça ?

Marinette. — C’est fou !

Un temps.

Pierre. — Je ne t’amuserai pas toujours.

Marinette. — Ah !

Pierre. — Je ne vivrai pas éternellement.

Marinette. — Tu penses déjà à mourir ?

Pierre. — Les hommes ne vivent pas vieux. Compte les veuves.