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II
REVUE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES VIVANTES

qui dépassent celles du commun des mortels et guidé par l’inspiration d’En-Haut. Ses exploits extraordinaires et les grands services qu’il a rendus à la communauté l’entourent d’un éclat magique et fournissent des thèmes inépuisables aux ménestrels chargés d’entretenir le prince et son cortège de preux au cours des fêtes d’apparat. Aussi ces premières poésies, composées au hasard des circonstances et sous l’impression de puissantes mais passagères émotions, portent-elles au début l’empreinte d’un lyrisme débordant. Ce durent être, pour la plupart, des pièces de vers courtes et vibrantes, où quelque Tyrtée barbare cherchait à ranimer le courage des guerriers par l’exemple d’un ancêtre héroïque. Plus tard sans doute ces lais enthousiastes, en se répétant et en se développant, prirent plus nettement le caractère narratif. Ils perdirent en sauvage énergie de ton ce qu’ils gagnaient au point de vue de la composition et de l’art littéraire jusqu’à ce qu’enfin quelque barde, plus ambitieux et plus habile que ses prédécesseurs, les souda et les remania en un récit suivi et soutenu. Et c’est ainsi que naquirent les poèmes épiques populaires.

Mais cette épopée elle-même tendra bientôt à se modifier et à se compléter. Tant que la spontanéité l’emporte encore sur les autres éléments qui concourent à sa formation, c’est à peine si l’épopée se dégage du lyrisme originel. Traduisant des sentiments impulsifs plutôt qu’elle ne relate une suite de faits bien définis, elle se précipite avant tout droit au but, sans se soucier d’exposer son sujet avec logique et clarté. Ce qui lui importe, c’est d’impressionner des esprits assez frustes, et ceux-ci, plus préoccupés de vie intense que de beau langage, demandent qu’on leur présente des actes éclatants et non de longs récits circonstanciés. De là des cantilènes courtes et pour ainsi dire haletantes d’émotion, où le dialogue se condense en de vives et brèves réparties, où l’action se traduit en petites phrases nettes et énergiques, où la passion se répand en mots rapides et frappants. Plus l’on remonte vers les débuts de la langue et de la littérature, plus ce caractère d’impétuosité et de véhémence, cette fougue proprement lyrique se remarquent. Par degrés cependant, à mesure que s’écoulent les générations, cette ardeur se calme, la réflexion intervient et commente le cours des événements, le barde primitif s’efforce de décrire les mobiles de ses personnages en même temps que leurs exploits, et le récit plus ample tempère la vivacité du narrateur. Tels sont les deux stades que nous montre la poésie épique anglo-saxonne.

Le premier et le plus éloigné de nous par le temps n’est malheureusement représenté qu’en des œuvres trop rares. Ce qui en fournissait la matière, c’était la légende germanique avec un certain nombre de cycles dont le développement ultérieur se verra plus tard dans l’ensemble formé par les Eddas islandaises. Mais déjà chez les Anglo-Saxons, quelques compositions de l’époque la plus reculée rappellent ces vieilles traditions de la race. Telle est,