Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/25

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danois dont l’épopée fait plus d’une fois l’éloge et qu’il est remplacé par l’ensevelissement tel que le pratiquaient les Celtes et les Latins[1]. Les institutions de l’État sont aussi plus complexes dans le Beowulf que dans la communauté germanique primitive. L’on remarque par exemple autour du roi Hrothgar un cérémonial inconnu aux chefs du temps d’Arminius. Sa cour comporte un introducteur des étrangers, Wulfgar (id., v. 335-355), un orateur officiel, Unferth (id., v. 1165-1166, 1456), un ménestrel attitré (id., v. 1066-1067) et plusieurs conseillers dont le principal est Aeschere, que la mère de Grendel tue pour venger la mort de son fils (id., v. 171-174 et 1323-1325). Si le chant est en honneur auprès des anciennes peuplades moins civilisées, il semble que la musique elle-même et l’usage des instruments à vent et à cordes se soient considérablement développés depuis le début de l’ère chrétienne. En plus de la trompette et du cor (byme et horn, id., v. 2943 et 1432), il faut noter la harpe (hearpe, id., v. 89, 2107, 2262 et gleo-beam, id., v. 2263) et peut-être une sorte de viole rustique (gomen-wudu, id., v. 1065, 2108) qui, comme la harpe, guidait la voix et soutenait le récitatif du scop. Enfin la conception du rôle de la femme s’est modifiée avec le raffinement de la vie. Loin de pousser à la guerre, suivant l’exemple des Walkyries légendaires ou des contemporaines de Thusnelda, le poète nous la représente contribuant à apaiser les querelles survenues entre tribus voisines (id., v. 2027-2029) et méritant le beau nom de « tisseuse de paix » (freothu-webbe, id., v. 1942) ou de « pacificatrice des peuples » (frithu-sibb folca, id., v. 2017). En contraste avec la rudesse d’autrefois, il y a là un adoucissement général et significatif.

Le progrès des mœurs est donc évident depuis l’époque de l’historien Tacite. Cela ressort non seulement de l’influence modératrice et bienfaisante attribuée au sexe faible, mais de l’atmosphère spéciale à l’épopée tout entière. On le sentira encore mieux, si l’on vient de relire le Combat de Finnsburg et le Waldere. Chez les personnages du Beowulf, et notamment dans la famille du roi Hrothgar et du chef géate qui accourt à son aide, le barde fait ressortir, au même titre que les vertus guerrières, des caractéristiques plus douces et plus humaines. Chez le grand-père de ce dernier, Hrethel, lorsque son fils aîné meurt accidentellement par le fait de son frère Haethcyn, l’affection paternelle se manifeste de la façon la plus touchante sous la forme d’un cœur brisé (id., v. 2460-2469), phénomène inconcevable au temps d’Arminius et de ses émules. La reine Wealtheow montre ses sentiments maternels quand elle recommande, en termes émouvants, ses jeunes garçons à leur cousin Hrothulf (id., v. 1180-1187), et l’amour conjugal apparaît dans le salut qu’elle adresse à Hrothgar (id., v. 1169-1180) et dans

  1. Toutefois, le poème ne présente aucun exemple d’obsèques danoises, sauf celles du Scyld légendaire.