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le onzième chant de l’Énéide. Le travail restait toujours magnifique ; cela s’explique, en hagiographie, par ce fait que l’ange gardien du moine, qui l’abandonnait à la porte de tous les autres lieux de perdition, revenait le flanquer à celle du scriptorium et le soutenait au pupitre en l’éventant de ses ailes fraîches.

Le douzième et dernier chant de l’Énéide comprend, je vous le remémore, neuf cent cinquante-deux vers.

Un vendredi 13, au moment même où, à la suite d’un repas sans mesure, il « babuinait » le neuf cent cinquante et unième et avant-dernier, celui-là même où Turnus, tué par Énée, tombe, les membres glacés du froid de la mort (solvuntur frigore membra), Orderic, par une coïncidence étrange, dont Satan menait l’aventure, succombait lui-même subitement à une apoplexie foudroyante. Son ange gardien n’eut que le temps d’ouvrir les bras pour le recevoir.

C’était fini, le Virgile de Saint-Evroult, faute d’un vers, et du dernier, était perdu pour les royales librairies, trésors du genre humain. Et le cataclysme se doublait de cette désolation chrétienne que le moine, n’ayant pas eu le temps de se repentir de ses péchés, et par con-