Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/242

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Et ils ne savent pas, les gars, ils n’ont jamais su la cause de sa mélancolie. Eyrnaud non plus, ne l’a pas sue, le pauvre cher homme ! Quand, de son vivant, il la surprenait les yeux perdus, l’ouïe tendue au bruit des chemins et l’âme toute hors du corps, il soupirait et lui disait :

— A la fin des fins, Jacquemine, tu n’es donc pas heureuse ?

— Très heureuse, Pierre, tout va bien.

Mais elle repartait à rêver. Alors, il branlait de la tête et s’en allait fumer sa pipe au bord de la canarderie.

Une seule chose la tirait de son brouillard. Régulièrement, aux temps de la moisson, quand on embauche des gars pour les travaux de la récolte, elle s’activait. C’était elle qui recevait ceux qui venaient se proposer à la ferme, qui traitait avec eux et leur versait la bolée de cidre. Elle les examinait longuement, anxieusement, les tâtait et les faisait causer. Ceux qui avaient vingt ans étaient tous pris et acceptés, fussent-ils ivrognes avérés et fainéants reconnus. S’ils n’avaient pas d’outils, elle leur en procurait, et s’ils prolongeaient plus que de raison la sieste de quatre heures, elle empêchait Eyrnaud de les malmener.