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Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/298

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fesse que ces trente mille balles me tombent à point nommé pour éviter une catastrophe. Je vous serais même obligé, cher monsieur, de me les faire tenir avant midi. Cela ne doit pas gêner beaucoup un riche magistrat tel que vous et j’y compte.

— Vous les aurez, fit le notaire qui se détourna pour cacher son trouble.

Mais il ne put le dominer et il se mit à mordre son mouchoir et enfin à sangloter comme un enfant.

— Qu’est-ce que vous avez donc, Camuret ?

— Rien, rien. Ah ! mes pauvres enfants ! Ma malheureuse femme !… Mon étude, mon nom, tout est perdu, tout, tout !…

Boldon comprit. Pour faire honneur à des échéances, celles du paiement de sa charge, sans doute, le plus honnête notaire de province trafiquait sur les dépôts de sa clientèle par des spéculations dont la découverte était menaçante. Il était venu au cercle pour demander un secours désespéré à la Fortune, et il en sortait grevé d’une dette de plus, une dette de jeu, sacrée, irrémissible. Le soldat eut pitié du notaire.

— Sacrebleu ! ne pleurez donc pas, nous sommes à deux de jeu ; moi, j’ai mangé la grenouille du régiment par amour pour un ange de