Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/66

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fiords, à travailler les effets de neige. Et comme, d’autre part, mon naturalisme appréhende peu les revenants, je pris congé de l’aubergiste et j’enfilai, la boîte au dos, la pipe aux dents, la venelle du moulin du crime.

Il ne m’en avait rien dit de trop, c’était l’idiosyncrase ! Imaginez un éboulis de solives et de pierraille retenues seulement par les sarments du lierre et le treillis des parasites ; sur l’amas de ces trous brodés, une toiture effondrée, crevée, comparable à une toile d’araignée en loque ; une roue morte sur le moyeu, embobinée de lianes aquatiques comme l’est un rouet de l’étoupe du chanvre ; l’écluse comblée, sans traces de margelles, talus d’urticées et d’herbes folles d’où surgissait un genêt sauvage aux grappes cuivrées, — et là-dessus, là-dedans, partout, des nids chantants et des vols d’ailes. Quant à l’étang, une vasque des jardins du paradis, bleu comme les ciels vénitiens de Ziem, où, dans le friselis d’une buée rose, bruissaient des nuées de névroptères aux élytres irisés et nacrés. À gauche, entre les glaïeuls lamellés, dressés en faisceaux d’épées, et les patènes vert-de-grisées des nénuphars, une barque dormait, à peine remuée, sans amarre…