Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/404

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filles israélites, parfaitement vivantes, mais qui avaient eu la faiblesse d’écouter les suggestions amoureuses des chrétiens. Pour cette faute, la tribu les avait rejetées de son sein et frappées de mort civile, en leur faisant subir de fausses funérailles.

« Ces pauvres filles jouissaient du singulier privilège de pouvoir lire la date de leur décès, inscrite sur la pierre et de jeter elles-mêmes des fleurs sur leur propre monument.

« Quand les autres juifs les rencontraient par les rues, ils affectaient de ne pas les voir et ne répondaient pas si elles leur adressaient la parole. Une convention tacite les supprimait de la face du monde ; le silence et l’oubli les enterraient déjà plus qu’à moitié.

« L’une d’elles, dont l’amant fut tué dans un combat, errait à travers Constantine comme un spectre diurne, épouvantée d’elle-même, l’égarement de la folie dans les yeux et la pâleur du sépulcre sur les joues. Semblable à Jane Shore, elle se traînait de seuil en seuil, hâve et maigrie, et frappait à toutes les portes qui s’ouvraient et se refermaient aussitôt, sans laisser passer la parole de commisération ou le morceau de pain qu’elle implorait. Cela ne dura pas longtemps : la tombe vide, frustrée un moment, rouvrit sa mâchoire et avala sa proie. »

Il n’est pas douteux que ce thème ne fût plus lyrique que dramatique, et que le poète n’en eût mieux tiré un beau lied dans le goût de Goethe et d’Henri Heine qu’un mélo pour le boulevard du Crime. Mais profès de cette doctrine que l’écrivain digne de ce nom doit n’en rien laisser au « métier de son art » et ressembler en cela au Reniflard de son propre