Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/409

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Ces impressions reçues à première vue sont ineffaçables, et je n’ai jamais pu oublier, je l’avoue, le mauvais effet que nous produisit, à Neuilly, la visite d’Émile Zola à Théophile Gautier. Si connu que fût déjà l’auteur de Thérèse Raquin, et si illustre allât-il devenir, il restait pourtant entre ces deux hommes une échelle hiérarchique à gravir dont les degrés ne se sautent pas à pieds joints. Les plus glorieux des intimes mêmes, Flaubert, Banville, Dumas fils, Goncourt, Leconte de Lisle, ne transgressaient pas une ligne respectueuse, deux fois marquée par l’âge et le génie, dont la barrière laissait tout son jeu à la poignée de main en fixant le point de maîtrise.

Théophile Gautier, le plus simple, le plus cordial des « patrons », et trop enclin à tutoyer tout de suite ceux qu’il sentait « de la partie », n’en était pas moins jaloux de son autorité d’art, et il aimait à ce qu’on lui en accordât un peu le bénéfice. Sans tenir à l’hommage mamamouchique qu’il rendait lui-même au grand burgrave de Guernesey, il tenait assez au : « Jeune homme, taisez-vous ! » auquel il avait un peu droit tout de même dans le burg romantique. Question d’étiquette professionnelle, dont l’oubli à Paris, sur les boulevards mêmes, signe son provincial au moins. Il est significatif que Théophile Gautier, à la suite d’autres visites encore, n’ait jamais tutoyé Émile Zola, malgré la très réelle admiration que lui inspirait le talent du romancier, qui avait pris trop vite le tabouret de maîtrise, et avant l’« asseyez-vous » du chef de corporation.

Je ne m’explique ainsi, et que de la sorte, la résistance que j’ai toujours opposée à la marche victorieuse de ce naturalisme dont Émile Zola mena le