Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/122

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moment, c’est à Daniel Vierge que je dois en revenir. Il n’avait alors que trente et un ans, et, robuste et magnifique, il croquait les piments en feu comme un écureuil les noisettes. Ce producteur inépuisable se dépensait sans compter, dispos à toutes les commandes, et plus frais après les veillées de travail nocturne, que l’oiseau sur la branche à l’aurore. Le catalogue de son œuvre si l’on pouvait le dresser, abattrait trois bénédictins sous la besogne, et l’on n’y relèverait pas une pièce médiocre. Oui, en vérité, il fut un grand artiste, auréolé de beauté et de génie.

Il était né — je recours à mes notes prises de sa bouche même — le 5 mars 1851, à Madrid, rue de la Huertas, de Vicenti Urrabieta Ortiz, dessinateur lui-même, dont les compositions d’actualité alimentaient tous les illustrés de la Péninsule, de telle sorte que, lorsque Daniel passa les monts pour se créer un nom, la besogne était à demi faite. Il prit donc celui de sa mère, autant par respect filial que par soumission à un usage de son pays, aussi touchant qu’il est logique. L’âme artistique est toujours de transmission maternelle. Mme Urrabieta Ortiz s’appelait Vierge, de son patronymique de jeune fille.

La vocation de Daniel fut tout de suite impérieuse comme elle était héréditaire.

« À six ans, me contait-il, dans la petite ville de Pinto, près d’Aranjuez, je passais mes journées à m’essayer aux effets de lumière sur des ruines où je faisais poser des mendiants en guenilles. »

En 1864, il entra à l’École des Beaux-Arts de Madrid, et d’emblée il fut placé tout de suite dans les classes supérieures auprès de Pradilla, Plasencia et autres