Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/124

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longtemps plus tard. Et ce Fortuny n’avait que trente et un ans. Il dégotait en gloire et en fortune les plus fameuses spada du spadassinat tauromachique et jusqu’à Frascuelo lui-même. On n’en dormait plus chez le vieux maître Federico de Madrazo, dont Fortuny venait d’épouser la fille. Ed anch’io son pittore ; Daniel Vierge mit ses quatre-vingt-dix carnets dans son sac à peindre, et il franchit les Pyrénées, sans oublier, bien entendu, sa guitare.

— Mais en sortant de l’Académie de Madrid il m’était arrivé d’être, sur le seuil même de la porte, renversé par un cheval emporté. Voilà pourquoi je ne suis pas peintre, comme cet heureux Mariano.

— Comment ? Pourquoi ?

C’était un signe. Lorsque l’on est renversé par un cheval devant une maison d’où l’on sort, c’est qu’on n’y rentrera jamais.

— Eh bien ?

— Cette maison était l’Académie de peinture…, de peinture, entendez-vous ? Mon sort était écrit, je ne pouvais être que dessinateur.

Et rien jamais ne prévalut contre cette croyance superstitieuse de l’artiste à la fatalité de la loi du cheval. Dieu sait pourtant s’il l’était, peintre !

Ce fut néanmoins avec de petites toiles peintes que Daniel Vierge gagna d’abord sa vie, à Paris, en 1869. Il en prenait les thèmes dans les scènes de la vie courante, les « choses vues », comme dit Victor Hugo, à l’aventure des promenades, départs de troupes, rassemblements de badauds, groupes populaires, selon des notations qui augmentaient le nombre de ses carnets. — « Et je vendais, me disait-il, je ne sais plus à qui, mais je vendais. J’avais