Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/288

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l’argent à la main, à les regarder foutre le camp comme des poules devant un loup-garou.

Aujourd’hui, Veules-les-Roses est démocratique et social, et, comme disait si comiquement Gautier, son municipe « libre-pense ». Mais j’ai connu le temps où il en était encore aux « jeteux de sorts », et l’un d’eux le propre cousin de mon confrère Pierre Giffard, m’a servi de modèle pour le sorcier-rebouteux de ma pièce, qu’il m’a posé sous le nom, à la fois persan et très normand, de Hormisdas. Il vivait encore quand Le Nom fut joué à l’Odéon.

Si superstitieuses qu’elles fussent, les lavandières n’en étaient pas moins bonnes Normandes, voire Cauchoises, soit bi-normandes, si l’on peut dire. Le terrain payé et la maison construite, elles s’en vinrent trouver le Parisien qui créait la fortune du pays, — « Et à cette heure, lui dirent-elles, où c’est-y que nous le tendrons notre linge, notre pauvre linge du père Adam ? » Et c’était si juste, remarquait Mélingue, Normand lui-même, que, sans Théodorine (Mme Mélingue), qui est Bordelaise, je démolissais tout et leur rendais la place. »

Les plages découvertes par les artistes sont les bonnes, mais elles ne restent pas longtemps, les « petits trous pas chers » de la réclame balnéaire. Autour de Mélingue étaient accourus, premiers pionniers, les paysagistes, les frères de Cock, Chintreuil, Harpignies, d’autres encore que j’oublie, et ils s’étaient logés dans les chaumières du village, le long de la petite rivière qui le traverse. Elle était bordée de leurs chevalets. À la tombée du jour ils se réunissaient dans le jardin crénelé du comédien, pour voir le soleil se noyer dans la mer, derrière le « Moulin inutile ». C’était