Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/301

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lumes, une seule est vraiment de mon encre d’un bout à l’autre ; et que, pour le reste, il y a collaboration forcée et anonyme de tous les Torquemadas qui nous garantissent le salut par les supplices. Il sied d’ailleurs qu’il en soit ainsi peut-être, et l’on ne s’amuserait plus à Paris si les vaches y étaient gardées par les vachers et l’art dramatique exercé par des artistes de cet art. En qualité de Parisien, j’ai joui plus qu’à mon saoul de cette drôlerie nationale et j’ai payé tribut jusqu’à la ruine à cet incomparable coq-à-l’âne.

Dans les commencements, au temps, de l’innocence j’essayais, selon le précepte de Got, de défendre mon texte et mon contexte, avant d’en être dégoûté moi-même. Lorsque La Rounat brandissait les ciseaux de l’infaillibilité doctorale et directoriale, en me signifiant l’axiome fameux de M. Scribe : — Ce qui est coupé n’est pas sifflé, — je lui opposais un oracle non moins fataliste et aussi bête, j’espère : — Ce qui est coupé n’est pas applaudi non plus. — Et nos deux critères se colletaient, car j’en tenais un au Voltaire. Allez, allez, criait mon confrère, je vous sauverai malgré vous-même, car je raffole de votre satanée pièce. Mais vous ne la comprenez pas. Il n’y a que moi qui la comprends. Porel même n’y voit que du feu. Tenez, le voici, demandez-le-lui.

Et l’associé entrait en effet, et il souriait : — Le Nom ? Ça ne fera pas dix salles, et demi-pleines.

Il en fit vingt, aux trois quarts vides, et j’y gagnai exactement seize cent cinquante-six francs et dix centimes. Il y a des états plus lucratifs, mais il n’y en a pas de plus beaux et, à elles seules déjà, les répétitions valent la gloire du tonneau à clous de Régulus.