Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/41

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imaginer de moins édifiant. De telle sorte qu’il y a une lutte secrète entre la population et le gouvernement sur ce point ; la population tient à ses kermesses et le gouvernement les interdit le plus qu’il lui est possible. Dans quelques années tout sera fini et le mot de kermesse ne sera plus qu’un souvenir des grosses gaietés du temps jadis et de la belle humeur flamande.

J’étais curieux naturellement d’assister aux derniers soupirs du vieux Momus brabançon, et je me suis dirigé vers le port et les bassins, où sont les estaminets populaires. Kæmmerer comptait crayonner là quelques scènes de forte buverie et saisir sur le vif la philosophie de Craesbèke. On venait d’exécuter sur la place Verte, au milieu d’une foule immense (60 à 80.000 auditeurs) la cantate de Peter Benoit, et la ville était remplie des bruits et des sonorités de cette œuvre mise au jour par 1.200 choristes et instrumentistes. Chaque couple s’en allait bras dessus bras dessous, et l’on se répandait dans les tavernes. C’était l’heure où l’on va manger des salades de harengs et d’œufs durs : des spirales de fumée sortaient des fenêtres ouvertes à l’air frais de la soirée et montaient sous les banderoles doucement agitées par la brise. Nous nous installâmes dans un estaminet plein de paysans endimanchés, en train de boire autour d’un saladier de moules. Il me sembla que j’entrais au prêche, tant ils étaient graves et mesurés. Deux ou trois robustes gaillardes, relevant du sexe aimable, étaient assises et se repaissaient à manches retroussées. Elles n’étaient point belles, certes, mais enfin elles étaient jeunes et elles étalaient, parmi d’autres avantages, ceux que Rubens a célébrés jusqu’à