Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/42

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l’héroïque. Je m’attendais à quelques baisers pris çà et là, en manière de réjouissance, et à ces privautés sans conséquence que le bon Dieu autorise dans tous les pays du monde et que chez nous prêche le curé de Meudon. Il me semblait impossible qu’on les eût amenées là pour leur faire boire quelques verres d’orgeat et déguster des moules crues. Mais tous et toutes continuaient à être graves et à avaler méthodiquement. Nous attendîmes ainsi jusqu’à la moitié de la nuit qu’il se décidât quelque chose entre ces braves gens venus pour se distraire. Enfin l’un d’eux entonna un cantique de quelque Bach de village qui fut repris à l’unisson par toute la famille, et s’étant levés, ils descendirent dans la rue. Nous les suivîmes, ils allaient deux par deux, marquant le pas et rythmant leur mélopée : ils firent douze fois de long en large la longueur du quai Van Dyck et ils allèrent reprendre le premier train du matin. Les jeunes femmes semblaient les plus heureuses du monde, et elles ne demandaient qu’à recommencer une pareille fête. Je te jure que c’était édifiant, et que, s’il en est partout ainsi des kermesses, le gouvernement a bien tort de chercher à en éteindre l’usage. Les vêpres des commencements de l’Église chrétienne n’étaient certainement pas plus saintes aux yeux du Seigneur.