Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Baudelaire causant avec Charles Asselineau dans le fond assez sombre de la boutique.

Plus tard, en 1875, à l’occasion d’une plaquette sur Théophile Gautier peintre, qu’il m’édita, je fis connaissance avec Poulet-Malassis dans le rez-de-chaussée qu’il habitait alors rue de Grenelle, au numéro 56, au coin de la fontaine de Bouchardon et qui, si ma documentation est exacte, avait été occupé précédemment par le poète de Rolla. Depuis longtemps il était hors du commerce, et pour cause, et il n’éditait plus qu’en chambre, sous le couvert de quelques libraires détaillants et bibliophiles, mais il était resté dévot à ses auteurs, et sa plus vive joie était d’égrener les souvenirs qu’il en avait. Donc, un jour que je lui contais mes extases d’apprenti devant feu son étalage lyrique, comme aussi mon regret d’avoir égaré mon croquis de Baudelaire d’après nature : — Pauvre Baudelaire, soupira-t-il, était-il assez malheureux !

— Comment, malheureux ?

— Oui, reprit-il, c’était le temps où il battait son plein de cocuage.

— Vous dites ? fis-je, croyant que la langue lui avait fourché.

— Le secret n’est plus à garder, et vous avez bien entendu. Personne n’échappe au sort de Molière, ou plutôt au sort qui nous a valu Molière, et les plus illustres poètes y passent, comme les autres, eussent-ils fait Les Fleurs du Mal ou… chut… celui-là vit encore. Et pourquoi voudriez-vous qu’ils fussent indemnes d’une fatalité qu’ils attirent eux-mêmes et dont ils tirent des accords immortels ? Qu’eût été Musset sans le médecin de Venise ? L’au-