Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/266

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Et Pie VII recula, timide.

« C’est moi, Cervoni ! ! !… dit le soldat en adoucissant son cuivre.

— Cervoni ? Diavolo !… »

Et le vieillard prit littéralement la fuite.

Le père du général, Tome Cervoni, avait été lui-même un militaire réputé ; il avait pris part à la guerre de l’indépendance corse sous Paoli. C’était un de ses capitaines. S’étant fâché, je ne sais à quel sujet, avec le dictateur, il se retira à Soveria, chez sa mère, femme d’une vertu magnifique et d’un patriotisme passionné.

Lorsqu’un jour on apprit dans le village que Paoli venait d’être surpris par Matra, son ennemi, refoulé dans un couvent auquel on avait mis le feu et qu’il allait y périr. Or Paoli, c’était la patrie incarnée. Nulle injure ne pouvait empêcher un bon Corse d’en convenir et de le reconnaître.

« Va ! » dit la mère en lui apportant sa carabine.

Tome cependant hésitait, étant vindicatif comme tous ses compatriotes, et ne sachant pas pardonner.

La vieille ouvrit impérieusement la porte :

« Va ! » dit-elle une deuxième fois.

Sans doute la cause de l’inimitié était grave, car le capitaine ne se décidait point à obéir :

— Non, mère, disait-il.

— Soit donc maudit le lait dont je t’ai allaité ! proféra la montagnarde, en une malédiction eschylienne qui est demeurée proverbiale dans l’île.

« Va ! » fit-elle encore.

Très pâle, Tome Cervoni se leva, prit son fusil, réunit quarante hommes dans les environs et alla délivrer Paoli au couvent de Bozzio. Il tua même