Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/111

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premiers sans doute, mais quand ils sont originaux, ils ont encore une belle place à prendre au répertoire. Regnier possédait son art à fond et à tréfonds et le problème lui plut d’extraire d’un autre Coquelin quelque chose de mieux que le simple décalque de son merveilleux élève. Ce n’était pas aisé. Ils étaient frères siamois, il fallait couper la membrane. Le maître partit sans avoir achevé l’œuvre d’individualisation, mais Cadet la parfit lui-même et il fut une figure théâtrale à force de vouloir enfin l’être, à son plan.

Ce fut la hantise de sa vie, « être », à côté de quelqu’un qui « était », et avec quel relief, sous son nom, et qu’en outre il adorait. J’ai assisté à ce drame d’âme, au début et longtemps encore après, et il m’a toujours impressionné, car Coquelin n’ignorait pas ce que son frérot endurait des comparaisons inévitables du public et de la critique, et il mettait tous ses soins à lui en tromper l’amertume.

— Vous devriez écrire quelque chose pour Cadet, me suggérait-il, mais spécialement à son intention. Dans notre art, on a besoin de créer pour se sentir. La création, c’est notre marque de fabrique. Faites-lui un acte, vous n’aurez pas à vous en repentir. On se trompe sur son compte, il est très personnel, c’est un grand bouffon de comédie italienne.

Inutile de vous dire que je fis l’acte. Par la volonté éternelle des dieux, c’était un monologue !… Il avait pour titre : Le Lièvre et les Grenouilles et pour thème celui de la fable de La Fontaine. Le personnage était un poltron qui entrait la nuit, par méprise, dans la chambre d’un plus poltron que lui — rôle muet — et s’enfuyait épouvanté, par le ronflement