Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/123

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étudiait encore chez les Devéria et il n’exposa que lorsque « Monsieur Achille », l’aîné des deux frères, lui en octroya l’autorisation, soit six ans après, en 1836. Puis, pendant cinquante ans, à tous les Salons, il tint tête aux modes, à la critique, aux évolutions du goût et au mercantilisme.

Lorsque je le connus, c’était un vieillard magnifique, gai comme un enfant, et plus jeune encore de caractère que ses toqués de locataires. Il prenait part à toutes nos charges d’atelier et nous initiait à la tradition de celles de son temps. Nous l’aimions infiniment pour cette joie philosophique et aussi pour le don qu’il avait de susciter l’idée en nos cervelles. Dans le portrait que son fils a fait de lui, et qui est une maîtresse pièce de l’art français au dix-neuvième siècle, cette vitalité contagieuse est exprimée à miracle et je n’ai jamais pu le regarder sans éprouver le besoin de courir au travail, comme autrefois, après une causerie avec le modèle.

Glaize le Vieux, à près de soixante-dix ans, peignait encore sans lunettes, et toute la journée, comme le Titien lui-même. Il ne prenait campo que le vendredi jour consacré au culte des maîtres, et qu’il passait régulièrement au Musée du Louvre, sans y avoir manqué en toute sa vie une semaine. Dire qu’il en possédait les tableaux un par un, c’est ne rien dire. Il aurait pu les reproduire de mémoire au chevalet. Prenez au pied de la lettre que, pour cet homme, le plus heureux que j’aie connu sur la terre, il n’y eut jamais d’autre joie que cette visite hebdomadaire à notre trésor d’art national. Aussi lui était-il impossible de s’éloigner de Paris : il était prisonnier du Louvre. Je l’ai vu revenir malade de l’écaillement