Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/145

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j’avais été impérieusement adopté par un de ces toutous sans race qui sont ami-nés des poètes et les reconnaissent dans une foule. Je l’avais appelé Bistu, sans raison plausible, par simple amour des onomatopées qui sont les germes des rimes. Quant au chat — celui de ce temps-là, car j’en ai toujours eu — il répondait au nom symbolique de : Point-et-Virgule, parce qu’il ressemblait à ce signe de ponctuation. C’étaient tous deux de discrètes personnes. Dès que Bistu apercevait sur le coin de la table les escargots du jeûne lyrique et Point-et-Virgule les œufs à la coquille rouge, tous deux, et chacun de son côté, s’en allaient dîner en ville, dans les Ternes, chez les bourgeois, et ne revenaient que la panse pleine.

Mais comme mon pavillon ouvrait sur un jardin magnifique, planté de hêtres séculaires qui sont des arbres à escarpolette, et velouté d’une pelouse ronde où il y avait un « ancien » jet d’eau, comme à Versailles, mes camarades venaient y passer le dimanche et quelquefois même ils y faisaient une petite retraite de huit ou dix jours, selon les loisirs que leur laissait une littérature intermittente. Le plus assidu était mon cher Zizi — Georges Charpentier — dont l’existence ballottée nécessitait, plus que toute autre, de longs repos au sein de la nature. Il m’arrivait à l’improviste, quoique toujours attendu, en fiacre, le fiacre étant sa passion dominante, et le carrosse de la bohème. Dans la dextre, il avait de la galantine truffée, la seule qu’il « tolérait », et dans la senestre, en bons déchets de choix, le déjeuner des deux autres « bêtes de la maison ». Et c’était là une orgie à quatre, dans la verdure, autour de la vasque coquil-