Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh bien, voici : je prends sa copie de ce soir, et j’y fais jeter, au hasard, dans le tas, par le prote, le mot de Cambronne à Waterloo. Si quelqu’un s’en aperçoit, je paie l’enjeu, est-ce dit ?

— Je n’ose pas parier, caponnait Monselet, sage et perfide.

Il va sans dire que c’était exagéré, comme tout ce qui est drôle, la blague n’étant que de l’hyperbole en joie. Benoît Jouvin était lu, mais il est certain qu’il n’était pas folâtre ; or, Villemessant aimait le rire et il le payait à caisse ouverte dans ses colonnes. C’était le temps où, de sa voix de rogomme, et s’adressant à Albert Wolff, venu d’Allemagne pour nous rendre un Henri Heine, il lui jetait d’un bout de la table à l’autre :

— Vous, je vous f… cent sous par facétie !

Je lui avais été présenté par mon cher camarade Armand d’Artois, dont les grands-oncles, Armand, Théodore et Achille d’Artois, écrivains de théâtre distingués de la Restauration, avaient dirigé la scène des Variétés et y avaient mené une forte campagne royaliste, en 1830. Monarchiste bourbonien lui-même, Villemessant gardait une vive admiration pour ces trois frères qui ajoutaient à l’aisance d’un Scribe la causticité d’un Martainville et taillaient, chaque quinzaine, croupières nouvelles au roi de la poire. Aussi, grâce au nom de d’Artois, fûmes-nous introduits tout de suite dans son cabinet. Villemessant logeait alors rue Rossini, au-dessus même des bureaux du Figaro, comme un capitaine sur son navire.

Il ouvrit cordialement les bras à Armand et il lui reprocha de n’être pas venu le voir plus tôt ; puis sur la foi du proverbe : bon chien chasse de race, il