Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/225

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dont plusieurs étaient de mes amis, le poste était encore enviable.

Si, vierge de tout service militaire à titre de fils unique de veuve, j’ignorais déjà le flingot, qu’était-ce pour le canon et quel artilleur dessinais-je sur la neige des remparts ! Mais les pipos, tout en s’amusant follement de mon embarras, me rassuraient sur l’apprentissage.

— Savez-vous tirer une ficelle ? riaient-ils.

— Un peu mieux que la nouer, mais pas beaucoup.

— Alors, vous êtes artilleur. Le tube de bronze, en pratique du moins, car en théorie c’est plus difficile, ressemble en ceci à la loge de votre concierge que, pour l’ouvrir, on n’a qu’à tirer le cordon.

— Oui, blaguait un autre, mais il y a le pointage et le recul. Pour le recul on passe vivement à droite ou à gauche, et tout est dit. Quant au pointage, nous avons des marins de la flotte qui sont spéciaux. Ils se chargent de la hausse et de la baisse et mettent à tout coup dans un casque à pointe, s’il en passe.

— Alors, qu’est-ce que j’ai à faire ?

— Déjeuner avec nous d’abord, et puis nous vous présenterons votre pièce.

Elle s’appelait Crocodile. Elle était brune et était née à Saint-Étienne. C’est sous sa culasse que je fis connaissance avec Édouard Manet, qui était l’un de ses serviteurs, et je dois à l’histoire de déclarer qu’il était beaucoup moins mazette que moi au service de la bombarde, mais il y fumait plus de cigarettes.

L’ami qui m’avait introduit dans cette compagnie, dont M. de Beauchamp, découragé, passa bientôt le