Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/227

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tion sentimentale, son livre de chevet, qu’il possédait par cœur. Il nous donnait des rendez-vous au café des Variétés pour le lire ensemble. Nous grimpions dans la salle du haut, presque toujours déserte, et nous nous enfermions pour déclamer, commenter et admirer le Wilhelm Meister français.


Le pain du Siège ! Quand je pense qu’il y a des gens qui sont parvenus à en garder, car j’en ai vu, quinze ans après, des morceaux, sous des vitrines. Deux raisons expliquent ma stupeur. D’abord, dans les jours suprêmes, et à partir du 15 janvier, il n’y en avait plus, pour chaque bouche, qu’une ration de souris, trois cents grammes au plus. Or, c’était la franche famine. Le Parisien est grand mangeur de pain, ainsi qu’on sait, et de tout autre aliment il peut se priver, mais de celui-là, non. Il lui en faut, à l’ordinaire, ses quatre cent cinquante grammes en moyenne. Encore dans la classe ouvrière en trouverait-on peu qui s’en contentent. C’est ce qu’Émile Zola a parfaitement exprimé par la boulimie de son Mes Bottes, qui va, son pain de six livres sous le bras. Je me demande donc comment, sur leur part des trois cents grammes, les collectionneurs ont pu s’y prendre pour conserver à la postérité un spécimen de cette boulangerie effroyable. Il doit coûter plus cher que le radium.

Mais ce qui m’étonne plus encore, c’est que cette… comment dire ?… substance ait pu survivre à l’armistice. Déjà, chez le boulanger, elle déconcertait la chimie. Le savant Berthelot en jetait ses lunettes au chat. — « Je mange sans comprendre », déclarait-il à Théophile Gautier, qui m’a conté le mot. Si encore il