Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/25

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nom de jésuite dont vous m’avez parlé l’autre jour ?

— Un grand artiste assurément, fis-je. Mais pourquoi la question ?

— Rodin, Rodin, il doit sculpter dans les radis noirs !

Et après avoir ri de sa plaisanterie :

— Figurez-vous, me dit-il, que ma petite-fille ne veut plus voir mon buste de David dans la vérandah. Elle s’obstine à ne pas m’y reconnaître et elle m’ordonne d’en avoir un moins laid à montrer aux personnes. Qu’est-ce que vous feriez, vous, si vous étiez un pauvre grand-père ?

— J’en causerais avec Auguste Rodin.

— Est-ce qu’il fait poser les modèles ?

— Sans doute, pour la ressemblance seulement.

— Je n’ai pas posé pour David, je ne poserais pas pour Michel-Ange. Mais dites-lui de venir dîner mercredi prochain. À table on a tout le temps de se regarder et c’est là que j’ai ma g…le bourgeoise !

À huit jours de là, le sculpteur se présentait avenue d’Eylau et y trouvait son couvert mis. Il avait apporté un cahier de papier à cigarettes et pendant tout le repas il y crayonnait, sous son assiette, des profils, des coupes, des expressions de physionomie et des attitudes du génial amphitryon. C’est sur ces notes de caractère qu’il a modelé son chef-d’œuvre.

Ma première visite rue de Clichy, au maître de mon maître, a laissé dans ma mémoire une vision inoubliable, et lorsque, les mains dans les poches de son veston gris, il vint à moi à petits pas, formidablement familier et paterne, il me sembla que les