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moyens. Anatole France, aussi bon observateur que beau poète, s’en aperçut à mon embarras et, sans s’expliquer davantage, il me pria, comme dans les romans-feuilletons, de le suivre. Rue des Saints-Pères, il s’arrêta devant une vaste maison précédée d’une cour plus vaste encore, où il entra, prit une clef au tableau, chez la concierge et me conduisit à un appartement désert dont les meubles étaient recouverts de housses et fleuraient cette odeur de camphre qui est le parfum de l’absence.

— Vous êtes ici, me dit l’auteur des Poèmes dorés, chez mon ami Étienne Charavay, chartiste éminent et puissant paléographe, qui lit le gothique roman comme vous lisez Le Petit Journal et pour qui les palimpsestes n’ont que des secrets de polichinelle. Rien ne vous empêche de vous incarner provisoirement dans cette figure toute monastique. Il est, pour le moment, à Alexandrie où il opère des fouilles sur l’emplacement de la bibliothèque, incendiée par le fameux Omar, cet Érostrate de l’Islam. Prenez son nom… la concierge est à moi. Et ne sortez qu’à la nuit tombante.

Et, en me remettant la clef, l’incorrigible ironiste qu’il était déjà, ajouta en un soupir :

— Que n’ai-je pu faire pour André Chénier ce que je fais pour le chantre de Mac-Mahon !

Je restai quelques jours dans le camphre, dont l’arôme m’est insupportable, tel un lépidoptère sur le bouchon de liège. Entre chien et loup, j’allais respirer un peu à la Comédie-Française, chez Verteuil, ou Léon Guillard, où je retrouvais les deux Coquelin.

Cadet n’était pas défavorable à la Commune. Il y avait des relations amicales et ne se refusait pas