Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/254

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sur la République, régime qui nous divise le moins.

— Comment, s’exclamait notre hôte de Bercy, vous voulez vous en aller ? De quoi avez-vous peur ? Ils sont très drôles et même très gentils, ces jeunes gens de l’Hôtel de Ville.

— Ils seront tous députés un jour ou l’autre, philosophait Cadet. Tu ne veux donc pas être député ? Sacré poète, va !

J’ignorais encore le moyen dont le marchand de vins disposait pour garantir ma fugue, et, confiant en Cadet, je n’osais m’en enquérir.

— Il y en a, contait-il, qui se suspendent à des cordes sur les fortifs, comme des prisonniers aux lucarnes, mais je ne te cache pas qu’on leur tire dessus. D’autres se déguisent pour passer les barrières, les malheureux !

— En quoi se déguisent-ils ?

— Par exemple, en sociétaires de la Comédie-Française. Mais ça ne prend pas. Nous sommes tous connus, nos têtes sont populaires. Ainsi, tu te présenterais à une porte quelconque, la plus délaissée, en disant : « Je suis Coquelin cadet… »

— Eh bien ?

— On te fusillerait, en riant, oui, parce qu’on m’aime, mais im-pi-toy-ablement.

— Alors, c’est de la gloire ? disais-je.

Et le déjeuner dînatoire s’allongeait par de joyeux propos, comme on dit aujourd’hui, à la blague. À l’heure du café, Cadet, qui ne songeait pas encore à lancer le monologue, chanta des chansonnettes. Il excellait dans celles de Gustave Nadaud, pour lesquelles il avait une prédilection de famille. L’une d’elles, intitulée, je crois : « L’histoire du Général »,