Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/253

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cette feinte férocité, toute littéraire, car Jules Vallès était un grand enfant et parfaitement incapable de nuire à personne. En outre, il était doué d’un véritable génie d’écrivain, et le signe du génie est la bonté.

Le lendemain, donc, je me rendis à Bercy chez le marchand de vins désigné par Cadet, et j’y trouvai, avec mon camarade, la table dressée pour un déjeuner magnifique.


J’ai perdu le nom du brave marchand de vins, ami de Cadet, qui me fit évader de Paris en avril 1871. C’était un gros entrepositaire des docks de Bercy et l’un des hommes les plus joyeux avec qui il m’ait été donné de choquer un verre de vin français. Or, Dieu sait si nous en entre-choquâmes, et du bordelais, et du bourguignon, et du champenois aussi. Quelle cave ! Il faut dire les choses telles qu’elles sont : de toutes les santés que nous portâmes, il n’y en eut aucune pour M. Thiers, ni pour l’armée de l’ordre. La haute bourgeoisie parisienne, je le répète, n’était pas « versaillaise », et je m’obstine à penser que, sans les bêtises de la fin, décrets absurdes, proclamations comiques, perquisitions folles, elle se fût déclarée pour la Commune. Outre que toutes les Frondes l’amusent, il y avait dans celle du 18 mars une verve politique doublée d’un héroïsme gouailleur, qui lui rendait les bons jours de son histoire municipale. D’ailleurs, elle craignait franchement le retour de la monarchie. Dans une situation identique, en 1845, le rôle qu’avait joué Talleyrand pouvait tenter son meilleur élève, qui ne s’était pas encore engagé à fond par son adage