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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/256

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distes, et nul autre sur ce point, même le seizième, n’atteignit, en maîtrise lyrique, celle de nos maîtres. Mais aucun d’eux, et je les ai entendus tous, ne disait ses vers comme les comédiens prétendent qu’il faille les débiter et selon l’art qu’on en professe au Conservatoire. Victor Hugo psalmodiait les siens. Théophile Gautier les scandait à la manière latine. Leconte de Lisle les épandait. Théodore de Banville les cinglait aux rimes comme des cymbales.

Un peu étourdi par la discussion que nous avions, Cadet et moi, à ce sujet, et qui semblait être pour lui du « chinois professionnel », notre hôte y avait jeté, cependant, la note claire du bon sens. Il savait son Pierre Dupont par cœur, étant compatriote du chantre des Louis d’or et des Bœufs, le Tyrtée à la fois et le Théocrite lyonnais.

— Selon moi, fit-il en remplissant une dernière fois nos verres, les vers se chantent, ils ont en eux leur propre musique, avec laquelle ils naissent dans l’âme harmonique des bardes.

Et ce disant, il attaqua, d’une voix puissante d’enfant du Rhône, l’hymne fameux qu’Ernest Reyer a recueilli des lèvres mêmes du chansonnier :

Cette côte à l’abri du vent
Qui se chauffe au soleil levant
Comme un lézard vert, c’est ma vigne !

Et le débat fut clos avec le déjeuner. L’heure était venue de procéder à mon escampative.

Le riche bourgeois me conduisit sur le quai de Bercy, où, parmi les barques et canots, il y avait un assez fort bateau fluvial affecté au service de ravitaillement des Halles. Il en était le propriétaire. Par