Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le sous-off n’était pas de service. Il occupait le lit de la brocanteuse. Après avoir erré vaguement dans la ville, comme un fantôme dans un cimetière je pris le parti d’aller demander asile à la gare et d’y attendre le train de l’Est. Il ne passait que le lendemain matin à huit heures. Je priai l’employé qui me renseignait de m’accueillir dans une salle d’attente. Il ne pouvait prendre sur lui de me le permettre, le chef de gare n’était pas là ; il logeait en ville.

Éconduit de la gare et réduit à errer jusqu’au matin dans la rue, comme un chien perdu, je pensai à me réfugier sous le porche de l’église si le bourg en avait une. J’allais, cherchant la silhouette d’un clocher dans les ténèbres diluviennes, lorsque je fus attiré par une lueur qui filtrait sous une porte, où, de guerre lasse, je heurtai.

Impossible de me dissimuler la qualité des aîtres, c’était un bouge abominable. Un lumignon charbonnant et fumeux en éclairait la salle basse, véritable cabaret de mélodrame, meublé de deux tables de bois, violettes de vinasse, que jonchaient encore des dominos cariés comme de vieilles dents. Le tenancier dormait, le col ouvert et les manches retroussées, sur une chaise.

— C’est-y toi ? grommela-t-il en tirant le loquet.

Il attendait un client retardataire sans doute, et sa surprise, à ma vue, s’exprima par un coup d’œil si méfiant à la fois et si comminatoire que je jugeai prudent de m’en tenir à la demande d’un verre, pour me réchauffer. Au hasard, dans un placard, il atteignit je ne sais quelle fiole d’un breuvage livide et m’en servit la ration de roulier. Je l’avais avalée