Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/288

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« Mon sang n’avait fait qu’un tour. « C’est ignoble ! » m’écriai-je, et, m’avançant vers le soudard galonné : « Oui, ignoble, je ne vous l’envoie pas dire ! »

« Il ne répondit rien, mais mon sort fut réglé d’un revers de main, et j’allai prendre place auprès du vieillard, à qui je serrai ostensiblement la main. Et le compte étant rond pour l’abattoir, on nous dirigea sur Satory, à pied, deux à deux, les chapeaux à la main.

« Or, j’avais dans ma poche la dernière dépêche de Dombrowski. C’est assez te dire si j’allais à la noce. L’autographe me signait le poteau télégraphique avéré de la révolte, en pleine usurpation de fonction publique, impossible de nier, si on fouillait, et on fouillait jusque dans les chaussettes.

« De la main gauche, seule libre, puisque la droite tenait le couvre-chef, je parvins à rouler d’abord la dépêche en boulette dans ma poche. Mais le caporal d’escorte nous observait. « La main à l’air, ordonna-t-il, et marchez. »

« Il fallait à tout prix supprimer le papier d’une manière ou d’une autre, sous l’œil méfiant du sous-off. Je prétextai d’un besoin pressant pour lui demander de m’écarter un instant. « On p… à Versailles, fut sa réponse, ou dans sa culotte. » Laisser choir la dépêche à terre pour qu’elle fût laminée, impossible, j’étais le dernier de la file, et le caporal fermait derrière moi la marche. L’avaler d’un coup rapide ? La boulette était trop grosse et j’étais sans salive, je sentis que je l’aurais recrachée. La jeter de l’arc du pouce dans une bouche d’égout ? Outre que je craignais de manquer l’orifice, nous défilions au milieu de la chaussée, dans une grande voie,