Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/289

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entre un piquet de soldats. Enfin, tu vois la situation.

« L’idée me vint alors d’utiliser mes talents de société, entre lesquels celui de l’escamotage m’est assez usuel. À Menton, il me servait à amuser mes élèves anglaises et à masquer mon ignorance de la langue de feu Shakespeare. Mais diviser, et de la main gauche encore, un papier roulé en boulette dans une paume, en morceaux assez petits pour tomber inaperçus dans la poussière, le tour d’adresse en laissait à Robert Houdin, dont j’invoquai les mânes au fond du paradis. Comme tu vois, puisque tu me vois, elles me furent secourables.

« Comment je m’y pris, je l’ignore et n’arriverais certainement pas à le refaire. Avec les ongles repliés comme des griffes, j’écorchais petit à petit ou plutôt j’écaillais la boulette dont les squames glissaient de mes doigts en pellicules. Ce que je redoutais le plus, c’était la crampe. Si elle me paralysait les métacarpes avant que je n’eusse réduit la boulette d’une bonne moitié au moins de son volume et de manière à ce que le reste fût indéchiffrable, tout mon travail chinois était perdu. À de certains moments où le décortiquement devenait plus fébrile, la boulette filait dans ma manche et il me fallait une souplesse de singe pour la rattraper au vol sans la laisser choir aux pieds du terrible caporal. Puis c’était le tour de l’engourdissement des phalanges, et je ne sentais plus la boulette. Mes articulations se nouaient, mon avant-bras se figeait jusqu’au coude. Enfin, en arrivant à Versailles, il ne restait rien de l’autographe. J’en avais semé les miettes comme le Petit Poucet son pain dans la forêt, et de la main