Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/299

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Or, nous devions au tribun une visite de retour. Il était venu voir, à La Vie Moderne, une exposition de pastels d’Édouard Manet, que nous avions organisée dans notre salle des dépêches, la première, entre parenthèses, qu’on ait ouverte à Paris sous un journal. Nous nous rendîmes donc un matin au Palais-Bourbon, escortés du dessinateur Daniel Vierge, admirable artiste, qui désirait offrir à Gambetta l’une de ses compositions.

Le grand orateur nous reçut avec cette affabilité familière qui lui était propre. Il avait son bureau de travail au bout d’un couloir dans l’appartement de Morny, et il était venu à notre rencontre. Il nous guida lui-même et, montrant à Daniel Vierge les croûtes affreuses encore pendues dans la galerie depuis la mort de ce personnage :

— Oh ! le goût de ce duc ! disait-il, le goût de ce duc ! Regardez ça !

Au bout de quelques minutes d’entretien, nous nous levâmes pour prendre congé et je crus l’instant propice pour soumettre au dictateur le vœu politique de mon camarade.

— Il désire être édile de la Ville Lumière.

— Est-ce vrai, ça, vous si heureux et si libre ?

Georges Charpentier inclina la tête et fit observer que le décès d’un conseiller de son arrondissement laissait une place disponible à l’Hôtel de Ville.

— C’est sérieux ? Vous le voulez ?

— Oui.

Gambetta leva les bras au ciel comme pour attester les dieux d’une telle folie, puis, s’appuyant paternellement sur l’épaule de l’éditeur :

— Je vous aime trop, n’y comptez pas.