Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/30

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prends pas encore. La méthode n’est certainement pas bonne de fatiguer les chefs-d’œuvre jusqu’au pensum. Toujours est-il que, pressé de passer de la théorie à la pratique, je m’essayais secrètement, dans l’ombre des classes, à l’assaut direct du Parnasse.

Deux muses m’y souriaient, plus bénévoles pour moi que les sept autres, Thalie et Melpomène, les « Charites » du théâtre, et ce fut vers leurs bras tendus que je dirigeai mes escalades.

Nous avions à cette époque, 1864-1865, à Charlemagne, pour professeur d’histoire, un maître dont je vous ai déjà parlé, Jules Thiénot, que nous aimions entre tous, d’abord parce qu’il était la bonté même, et ensuite parce qu’il avait l’art de rendre ses cours attrayants comme des spectacles. Il ne nous professait pas doctoralement l’histoire, il nous la jouait, et la reconstituait vivante, en comédien multiple et consommé. Je le vois encore, descendu de sa chaire, allant et venant, gesticulant, la tête nue et la toge flottante, nous mettre en scène la bataille d’Arques.

— Ici, mes enfants, c’était le château ; là, c’était la plaine, coupée de trois rivières et bordée par la forêt. Derrière moi, vous voyez la mer, où le gros Mayenne s’était flatté de jeter notre Béarnais. Je suis le Béarnais. Vous, là-haut, ceux du dernier rang, vous êtes les lansquenets de la Ligue. Qui veut faire le gros Mayenne ? — Moi, moi, moi !… — Eh bien ! celui qui a été le premier à la dernière composition. À présent, la bataille d’Arques commence.

— Oui, oui, oui… — Je veux dire qu’elle va commencer lorsque j’aurai écrit, sur un tambour, à ma maîtresse, la belle Corisande, la fameuse lettre que vous savez tous par cœur. — Non, non, non. —