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Comment, vous ne savez pas tous par cœur la lettre d’Henri IV à la belle Corisande ? Alors je vous la dicte, écrivez. : « Mon cœur… Je… »

Et nous la possédions pour l’éternité, la bataille d’Arques.

Jules Thiénot avait rêvé d’être comédien, et la seule petitesse de sa taille lui avait clos la carrière du théâtre. C’était par ces leçons représentées qu’il trompait la déception de sa vie. Mais il était resté en relations constantes avec les acteurs qu’il avait eus pour camarades et, particulièrement, avec Edmond Got, son ami d’enfance et de lycée.

Déjà fort célèbre par ses créations du répertoire d’Émile Augier, Edmond Got occupait à la Comédie-Française une situation prépondérante que justifiaient deux fois son superbe talent réaliste et la force de son instruction. Non seulement il traduisait à livre ouvert l’auteur latin le plus difficile, mais il lisait son Thucydide dans le texte hellénique. Je l’ai beaucoup, par la suite, aimé et pratiqué, et je puis dire qu’il fut le dernier de la grande lignée des comédiens français, celle pour qui l’art scénique n’était pas l’exploitation, plus ou moins achalandée, des dons physiques et simiesques. Edmond Got vivait des poètes, pour les poètes et avec les poètes ; il en ajoutait à leurs conceptions, il était du combat des idées, — il est mort pauvre, bien entendu.

Mais je reviens à mes moutons. Un dimanche matin, jour de sortie, je me rendis non sans un battement de cœur, à l’appartement que Jules Thiénot habitait rue Saint-Antoine, à côté du temple protestant qu’on y voit encore. Cet appartement était situé dans une maison de distillation dont les moûts fer-