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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/337

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et bien poète, et il ne s’en désolait que pour rire.

— Alors, du seizième, objectait-il, dis au moins que c’est du seizième, mais pas sous M. Thiers, hein ? Là, il y a erreur. Ah ! non ! pas sous M. Thiers, tout de même !

J’allais plus outre, je lui accordais jusqu’au recul de la Renaissance.

— Oui, reprenais-je, vous aviez droit à la Renaissance. On vous voit très bien causant ex professo avec Léonard de Vinci, de tous les arts où il excellait, même de l’art des ponts et chaussées, mais le poète, en vous, l’eût encore emporté.

— Non, non, pas sur le peintre.

Et, poussant un tabouret, il s’asseyait devant l’une des toiles de sa petite collection et m’en expliquait les beautés toujours nouvelles.

Celle qui l’attirait le plus et le retenait davantage était une étude du père Ingres pour son Apothéose d’Homère. Elle représentait les trois grands tragiques, Eschyle, Sophocle et Euripide et en idéalisait les têtes d’expressions traditionnelles. Je ne sais pas ce qu’il pouvait y voir pour le dessin et la couleur, et, de ces trois profils accotés auxquels il ne manquait que l’exergue pour jouer les effigies numismatiques, je n’aurais pas donné, l’un dans l’autre, le nombre de drachmes qui fait les cinquante centimes de notre monnaie. Il ne m’en voulait pas trop de ma résistance.

— C’est de ton âge, souriait-il, on ne vient pas tout de suite à Ingres. Il y faut un long stage et des connaissances dont le talon est perdu. Moi, je les possède. Un jour, où tu seras en état de grâce, je t’initierai. Ces trois macrobes sont sublimes, pour