Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/348

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Il ne fallut rien moins que sa tendresse paternelle pour le décider à hospitaliser celui qu’avait adopté sa fille cadette, et qui fut baptisé Dash, probablement en souvenir de la comtesse Dash, qui, née Poilouë de Saint-Mars, avait pris elle-même ce pseudonyme d’un petit chien, afin de ne pas déshonorer sa famille en prenant la plume.

« Un jour, un marchand de verres cassés passa devant notre porte, demandant des morceaux de vitre et des tessons de bouteille. Il avait dans sa voiture un jeune chien de trois ou quatre mois qu’on l’avait chargé d’aller noyer, ce qui faisait de la peine à ce brave homme que l’animal regardait d’un air tendre et suppliant comme s’il eût compris de quoi il s’agissait. La cause de l’arrêt sévère porté contre la pauvre bête était qu’il avait une patte de devant brisée. Une pitié s’émut dans notre cœur et nous prîmes le condamné à mort. Un vétérinaire fut appelé. On entoura la patte de Dash d’attelles et de bandes, mais il fut impossible de l’empêcher de ronger l’appareil, et il ne guérit pas ; sa patte, dont les os ne s’étaient pas rejoints, resta flottante comme une manche d’amputé dont le bras est absent. Mais cette infirmité n’empêcha pas Dash d’être gai, alerte et vivace. Il courait encore assez vite sur ses trois bons membres. » (Ménagerie Intime.)

On le rapporta un soir les reins cassés par un terre-neuve du voisinage, à la colère terrible du poète, qui ne parlait rien moins que d’aller infliger la peine du talion aux propriétaires du terre-neuve assassin. Les sœurs eurent beaucoup de mal à le contenir et, longtemps encore après, il pensait souvent au petit roquet bancroche dont le regard profond avait tant