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essayé d’assimiler son âme et « d’avaler sa monade ».

Au sujet de cette sensibilité panthéiste du maître, qui n’est point du tout la chrétienne, et loin de là, je ne saurais que me répéter, car j’en ai tout dit, ici et ailleurs. Pour les animaux, « ces frères inférieurs », tout poète est un Orphée nouveau qui les mène aux sons de la lyre. L’amour des bêtes est le signe et la marque du génie dans notre art. Il n’y a là-dessus, et il ne peut y avoir, d’exception. Ne croyez ni aux vers ni à la prose de ceux dont le « home » n’est pas une arche de Noé. C’est par les bêtes que les dieux correspondent avec les devins du Verbe et leur révèlent ce surcroît de vérité dont la poésie est faite. Les méchants n’ont pas de chiens, ni les sots.

Mais revenons. Les deux autres tableaux de la salle à manger étaient de ce Simon Saint-Jean qui, dans la peinture de fleurs, a rivalisé avec l’illustre Hollandais Van Huysum et n’en laisse rien à ce maître. Il avait suspendu chez Gautier l’ex-voto d’un panier de roses de la Malmaison, dignes de la bonne impératrice Joséphine, elles embaumaient le logis. L’art de Simon Saint-Jean a ceci de propre, qu’il sentimentalise la fleur et la traite en être animé ; il en exprime le roman d’une heure. Comme Charles Chaplin le disait si plaisamment de ses études particulières : « Je suis le peintre de la vie des seins », Saint-Jean aurait pu dire qu’il était celui de la vie des fleurs. L’un de ses tableaux célèbres est cette rêverie mélancolique de la gerbée de fleurs emportées sur une écorce dans un ruisseau, comme les cheveux d’Ophélie.

Théophile Gautier, dans sa salle à manger, au