Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/355

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En attendant ce mariage donc, il m’hospitalisait dans sa maisonnette de l’Enclos-des-Ternes, contiguë à celle qu’habitait depuis longtemps Théodore Barrière, et séparée d’elle par un jardinet. Ce fut là qu’eurent lieu l’essai et l’adaptation de la queue-de-pie, ou de morue, sous laquelle je devais enlever le consentement de la princesse. Comme Armand était beaucoup plus grand, et surtout beaucoup plus gros que moi, le travail de réduction ne laissait pas d’être difficile ; l’habit pouvait y rester. Silvestre proposait de faire venir un statuaire.

— Un bon statuaire, promulguait-il, contient toujours un tailleur. Qu’est-ce qu’un sculpteur ? un tailleur de pierre. Qui peut le plus peut le moins. Je ne vois que Falguière pour te draper en fiancé dans mes élytres de hanneton. Allons chercher Falguière !

Mais la maîtresse du logis, qui avait eu l’honneur d’être chemisière, déclara qu’elle se chargeait de tout, si on la laissait faire, et le travail eut lieu dans le jardin même, d’après nature, au clair de lune, par une nuit de mai magnifique. Penché à sa fenêtre, Théodore Barrière, en robe de chambre et la pipe au bec, contemplait la scène sans la comprendre. Il ne put y tenir et s’en vint à la haie limitrophe s’enquérir de ce que l’on faisait chez le voisin. Dès qu’il le sut, il voulut en être, et, après être rentré chez lui, il en revint avec une cravate blanche dont il me fit le don « pour aller dans le monde », comme il est écrit dans Mürger.

Et ce fut sous cette confection que je fis mon entrée à Saint-Gratien, derrière Théophile Gautier et sa fille.