Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/354

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morue, qui sont l’uniforme mondain de toute fête, chez les blancs, fils de Japhet, comme chez les nègres, fils de Cham, mais à force de la prêter aux camarades, je n’en gardais plus que le souvenir. Ce fut Armand Silvestre qui me tira du pas en m’offrant la sienne.

Comme j’étais à la veille de me marier, j’avais donné congé de mon pavillon et je demeurais, en attendant les noces chez le poète de Rimes neuves et vieilles. Il était alors à l’aurore de sa renommée. George Sand, ayant lu chez Dentu les épreuves de son premier recueil, s’en était emballée au point de vouloir en écrire la préface. Silvestre fut lancé du coup. Un jeune poète présenté au public par la Muse même d’Alfred de Musset, c’était, comme disait George, « une jolie nuit ». Nous en bavions tous sur le Parnasse en 1866.

Je ne sais pas pourquoi les vers d’Armand Silvestre me plaisaient moins qu’à « la femme à l’œil sombre ». Nous en avions fait, Zizi et moi, un abattage dans un canard, d’ailleurs sans ailes et sans vol, de Montmartre. Comment l’auteur l’avait-il lu, au ministère des Finances où il fonctionnait, c’est ce je ne saurais dire. Toujours est-il qu’il m’en gardait une dent de sanglier. Genus irritabile vatum. Lorsque pour la première fois un ami commun nous présenta l’un à l’autre, le contact avait été assez aigre :

— Ah ! c’est vous, monsieur, qui, en fait de poésie, me renvoyez au jeu de bouchon ?

Et puis, comme toujours entre jeunes gens, l’entente s’était faite et nous étions devenus les meilleurs amis du monde ; Armand Silvestre fut même le témoin à mon mariage.