Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/357

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la princesse Mathilde m’a laissé le plus heureux souvenir. Elle me regarda profondément de ses yeux « napoléoniens », et, sans mot dire, comme l’Oncle sondant la valeur d’un courrier de confiance sur un champ de bataille, puis elle me tendit sa main à baiser :

— Vous aurez une charmante femme, fit-elle, soyez-en digne et vous irez loin. En attendant, allons voir les ânes.

La visite aux ânes de Saint-Gratien était le « geste » qui signait patte blanche aux invités de la bonne princesse.

— C’est fait, me jeta le père Giraud, vous êtes agréé. À présent, vous pouvez compter sur elle, et, vous savez, à la vie et à la mort. Vous aurez vu ses ânes.

— Sois très poli avec eux, me dit Gautier, dans ton intérêt.

— Oui, ajouta Popelin, traitez-les en confrères.

Les ânes de la princesse étaient logés, au bout du jardin, dans une ânerie charmante qui était comme le Trianon du château. Elle les aimait entre toutes, ses bêtes et prenait un soin permanent de leur bien-être. Ils m’honorèrent à leur tour d’une réception infiniment flatteuse, surtout le plus petit, un élégant « confrère » gris argenté, qui daigna me battre de la queue le rythme de La Marseillaise.

Au retour au château, les hôtes se dispersèrent selon leurs affinités électives, et je me trouvai seul avec un nouvel arrivant dont je ne connaissais ni le nom ni le visage. C’était un homme de soixante-cinq ans, de taille élevée et d’allure diplomatique. Comme nous ne trouvions rien à nous dire, ne sachant rien